G H A T E A U

J)E PIERREFONDS

RUINES DU CHATEAU DE PIERREFONDS

-884 bis. ABBEVILLE. TYP. ET STÉR. A. LETAUX.

DESCRIPTION & HISTOIRE

DU CHATEAU

7\ 171

PAR

VIOLLET-LE-DUC

ARCHITECTE

ONZIEME ÉDITION

PARIS

Ve A. MOREL ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS

13, RUE BONAPARTE, 13

1883

DESCRIPTION ET HISTOIRE

DU CHATEAU

DE PIERREFONDS

La résidence de Pierrefonds, dont les ruines imposantes attiraient les regards, il y a dix ans, ne date que des premières années du xve siècle. Quelques auteurs prétendent qu’un ancien château s’élevait sur le coteau situé au-dessus du prieuré (église actuelle) ; mais cette opinion ne s’appuie sur aucune preuve, tandis que tout autour du château actuel et notamment vers sa partie méridionale, il a été trouvé un grand nombre de débris des xn° et xme siècles, qui indiquaient la présence, sur ce point, d’une construction assez importante. Il existe même à l’est du château que nous voyons aujourd’hui, les restes d’une poterne dont la construction ne saurait êlre postérieure à la fin du xne siècle. On peut donc admettre que l’ancien château occupait à peu près l’emplacement de celui qui fut rebâti par Louis d’Orléans. En l’an 835, le roi Charles le Chauve passa quelque temps dans une résidence voisine de Pierrrefonds, que l’on croit avoir été bâtie au Chêne Herbe- lot, et qui, dans les anciennes chroniques, est nommée Palla- dium casuum. Cette résidence ayant été détruite, les châte- lains du Chêne choisirent un lieu propre à être fortifié, et

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DESCRIPTION ET HISTOIRE

assirent la nouvelle forteresse probablement sur le point occupé par le château actuel. Les biens de la maison du Chêne furent partagés enüe les seigneurs de Bérogne et de Pierrefonds. Nivelon Ier trouva les choses en cet état lorsqu’il hérita de la seigneurie de Pierrefonds, par suite de la mort de son père. Ce seigneur rebâtit l’église du prieuré (1) (paroisse actuelle du bourg), accrut singulièrement son domaine, et la seigneurie de Pierrefonds fut érigée en pairie. Du temps de Philippe- Auguste, le nombre des pairs, seigneurs de Pierrefonds, dé- passait soixante. Cette ancienne maison s’éteignit par la mort d’Agate de Pierrefonds, et les grands biens de cette dame furent divisés en trois parts : les Cherisis eurent la première, les Châtillon la seconde, et les descendants de Jean Ier de Pier- refonds, fils de Nivelon Ier, la troisième. Philippe-Auguste acheta de Nivelon, évêque de Soissons, en 1181, tous les droits seigneuriaux que ce prélat possédait par suite du partage, et il installa, pour régir le domaine, des prévôts qui exerçaient en même temps les fonctions de juges et de receveurs. En 1215, le roi abandonna aux religieux de Saint-Sulpice une grande partie des bâtiments du château, et augmenta leurs privilèges. Depuis lors, jusqu’aux dernières années du xive siè- cle, il n’est fait nulle mention du château et du domaine de Pierrefonds dans l’histoire.

En 1890, Louis, duc d’Orléans, frère du roi Charles VI, se prétendant frustré de ses droits de régent ou de tuteur des affaires du royaume, songea à prendre ses sûretés. Il fit bâîir dans son duché de Valois des places fortes importantes; il acquit le château de Coucy et le rebâtit en partie ; fit réparer ceux de Béthisy, de Crespv et de Montépilloy ; fit reconstruire

fl) Il ne reste des constructions de l'église bâtie par Nivelon que des soubasse- ments et une crypte. Nivelon 1er mourut vers 1072.

nu CHATEAU DE PfERREFOXDS.

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ceiui de la Ferté-Milon, le petit château de Véz, le manoir de la Loge-Lambert, et, laissant les religieux de Saint-Sulpice jouir paisiblement des parties du vieux domaine de Pierrefonds, qui leur avaient été données, il résolut d’élever le magnifique château que l’on admire aujourd’hui.

La bonne assiette du lieu n’était pas la seule raison qui dût déterminer le choix du duc d’Orléans.

Si l’on jette les yeux sur la carte des environs de Corn- piègne, on voit que la forêt du même nom est environnée de tous côtés par des cours d’eau, qui sont: l’Oise, l’Aisne, et les deux petites rivières de Yandi et d’ Automne.

Pierrefonds, appuyé à la forêt vers le nord-ouest, se trou- vait ainsi commander un magnifique domaine, facile à garder sur tous les points, ayant à sa porte une des plus belles forêts des environs de Paris. C’était donc un lieu admirable, pouvant servir de refuge et offrir les plaisirs de la chasse au châtelain. La cour de Charles YI était très-adonnée au luxe, et parmi les grands vassaux de ce prince, Louis d’Orléans était un des seigneurs les plus magnifiques; aimant les arts, éclairé, ce qui ne l’empêchait pas d’être plein d’ambition et d’amour du pou- voir ; aussi voulut- il que son nouveau château fût à la fois une des plus somptueuses résidences de cette époque, et une for- teresse construite de manière à défier toutes les attaques.

Possesseur du duché de Valois, prétendant faire de ce ter- ritoire un vaste réseau militaire propre à dominer Paris, il était important d’avoir, près de Senlis, sur la route delà capi- tale, un point d’observation d’où l’on pût découvrir le par- cours de cette route, depuis la sortie de Senlis jusqu’à Crespy. Or, Louis d'Orléans choisit d’abord l'assiette de Montépilloy pour établir ce poste d’observation, et fit surhausser à cet effet le vieux donjon de ce château, dont on voit encore des

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DESCRIPTION ET HISTOIRE

restes très-remarquables. Ainsi cette première forteresse per- mettait de couper le passage à tout corps d’armée débouchant de Sentis. La garnison de Montépilloy avait d’ailleurs la certi- tude d’être soutenue par les troupes enfermées dans Crespy, Béthisy, Yéz et Pierrefonds, si un corps d’armée débouchant de Senlis tentait d’envahir le Valois.

Ce duché était borné au nord-ouest et au nord par les cours de l’Oise, de l’Aisne et de la Vesle, au sud-est par la rivière d’Ourcq, au sud par la Marne. Il n’était largement ouvert que du côté de Paris, au sud-ouest, de Gesvres à Creil. Or le châ- teau de Montépilloy est placé en vedette entre ces deux points, sur la route de Paris passant par Senlis ; il s’appuyait sur le château de Nantheuil-le-Haudoin, situé sur la route de Paris à Villers-Cotterets, et qui se reliait au château de Gesvres, sur l’Ourcq. C’était une première ligne de défense couvrant les frontières les plus ouvertes du duché. En arrière, était une seconde ligne de places s’appuyant à l’Oise et suivant le petit cours d’eau de l’Automne ; Verberie, Béthisy, Crespy, Véz, Villers-Cotterets, la Ferté-Milon, sur l’Ourcq, et Louvry au delà. Derrière ces deux lignes, Louis d’Orléans établit, comme réduit seigneurial, la place de Pierrefonds, dans une excel- lente position. Des tours isolées furent élevées ou d’anciens châteaux augmentés sur les bords de l’Aisne et de l’Ourcq. Le passage de la Champagne en Valois, entre ces deux rivières, était commandé par les châteaux d’Ouchy, sur l’Ourcq, et de Braisne sur la Vesle, couverts par la forêt de Daule. Au nord, en dehors du Valois, dans le Vermandois, Louis d’Orléans avait acheté et restauré la place de Coucy qui couvrait le cours de l’Aisne. Tous ces châteaux (Coucy excepté), étaient mis en communication par les vues directes qu’ils avaient de l’un à l’autre au moyen des guettes et des postes intermédiaires.

DU CHATEAU DE PIERREFUNDS. I

Le château de Pierrefonds était ainsi mis en communication de signaux avec celui de Villers-Cotterets par la grosse tour de Réalmont, dont on voit encore les débris sur le point culminant de la forêt de Villers-Cotterets.

Les expéditions tentées par Louis d’Orléans, et qui n’eurent qu’un médiocre succès, ne prouveraient pas en faveur des talents militaires de ce prince, mais il est certain que lorsqu’il résolut de s’établir dans le Valois, de manière à se rendre maître du pouvoir et à dominer Paris pendant la maladie du roi Charles VI, il dut s’adresser à un homme habile, car ces mesures furent prises avec une connaissance parfaite des loca- lités et le coup d’œil d’un stratégiste.

Monstrelet parle du château de Pierrefonds comme d’une place du premier ordre et d’un lieu admirable.

En l/ill, lorsque après l’assassinat du duc d’Orléans, les partisans du prince étaient poursuivis, à l’instigation du duc de Bourgogne, le malheureux Charles VI envoya le comte de Saint-Pol en Valois pour prendre possession des places du jeune duc Charles d’Orléans. Après la reddition de Crespy, le comte de Saint-Pol « s’en alla au chastel de Pierrefonds, dit Mons- » trelet, qui estoit moult fort defiensable et bien garny et rem- » ply de toutes choses appartenais à la guerre: et luylà venu » se print à parlementer avec le seigneur de Boquiaux qui en » estoit capitaine : et enfin fut le traicté faict parmy ce que » ledit comte luy feit donner pour ses fraiz par le roy deux » mille escus d’or, et avec ce emportèrent luy et ses gens » tous leurs biens. » Plus tard, le château fut rendu au duc Charles d’Orléans, et Boquiaux en reprit le commandement. Le comte de Saint-Pol n’abandonna la place toutefois qu’en y mettant le feu. Le duc d’Orléans répara les dommages, mas 4’une manière provisoire, ainsi qu’il est établi par le docti-

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DESCRIPTION ET HISTOIRE

ment suivant : « Plusieurs chambres basses et moyennes » estoient demourées saines et entières et aucunes des tours » du ditchastel (de Pierrefonds, après sonarsureet embrase- » ment), des quelles tous les combles, couvertures, et plus » haultes chambres ont esté arses, et par ainsi les dites cham- » bres sont demourées découvertes, et semblablement, au » corps du donjon du dit chastel soit demourée une chambre » entière du premier estage sur les voltes (voûtes) des celiers » d’icelui, et tout le hault et couverture arse et embrasés ; les- » quelles chambres sont en aventure de tourner en grave » ruyne par les pluves de l’ever prochain et autres en suivans, » ànostre très-grant domage se pourvnu n’y estoit; et oultre » que nostre dit chastel est du tout démontéz après ladite » arsure, desgarni et despourvu de trait, d’arbalestres, de pou- » dres, de canons et autres habillemens pertinens et conve- » nables à l’amision et deffense d’icellui, sans lesquels habil- » lemens ne pourroit estre bonnement gardés ni defïendus en » cas de besoin ; nous voulons à ce présentement estre pourveu » pour esche ver les inconvéniens et domages qui, en deffaut » de provision, nous pourroient avenir, attendu le temps d’hi- )> ver qui est si prochain, et autres causes à ce nousmouvens, » vous mandons et expressément enjoingnons que, par nostre » receveur de Valois, vous, des deniers de sa recepte, faictes « emploier et paier la somme de cent livres tournois, c’est » assavoir cinquante livres tournois en l’achat d’arbalestres de » trait, de poudres de canon, et aussi de canons s’ aucuns n’en » estoient demouréz au dit chastel après ladite arsure ; et les » autres cinquante livres tournois, en ouvrages et matières »> pour couvrir les dictes chambres, tant des dictes tour » comme de ladite chambre dudit donjon, de couverture » légère comme de chaume ou autre semblable, aflin de con-

DU CÜATEAU DE PIERREFOXDS.

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» server tant les dites ehambres comme la maçonnerie d icelio » tour, par l’ordonnance du maistre denoz ouvrages de nostre » dit duchié de Valois, jusques à ce que mieux y soit par nous » pourveu....» et de plus le duc Charles ordonne «obstansles » guerres et divisions qui ont esté, et par aultres lettres, estre » employé et convertie par nostre receveur du Valois des de- » niers de sa recepte, la somme de deux cens quatre vins » livres tournois en Tâchât de certains vivres et autres provi- » sions, et y celles mises en nostre cbastel de Pierrefons pour » la garnison d’içellui, sous la garde de nostre ami et féal » chambellan le sire de Boqueux, cappitaine dudit chastcl, » avec sa compagnie de vingt-cinq hommes d’armes (doux » cent cinquante hommes).... A Paris le XXIe jour du mois » de février mil CCCC et quatorze (I). »

Peu après cette date, le 25 octobre 1415, le duc Charles était blessé à la journée d’Azincourt, et conduit prisonnier eu Angleterre.

En 1420, le château de Pierrefonds, dont la garnison était dépourvue de vivres et de munitions, ouvrit ses portes aux Anglais. Nous voyons qu’en 1422 cette place tenait pour le dauphin. Pierre de Fenin raconte comme quoi le seigneur d'OfTemont, ayant rendu la ville de Saint-Riquier au duc Phi- lippe de Bourgogne, en échange du seigneur de Conflans, de messiies Rigault de Fontaines, Gilles de Gamache, Pothon de Xaintrailles et Loys Burnel, s’en alla à « Pierrefois (Pierre- fonds), qui pour lors estoit en sa main. » Or le seigneur d'OfTemont tenait le parti du dauphin.

Louis XII, étant duc d’Orléans, fit faire quelques répara- tions au château de Pierrefonds ; toutefois il est à croire que

(1) Louis ei Charles ducs d'Orléans, par A. Cliampollir.'i-Figoac. Caris, 18/iô.

DESCRIPTION ET HISTOIRE

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ot*s derniers travaux ne consistaient guère qu’en ouvrages intérieurs, en distribution d’appartements, car la masse impo- sante des constructions appartient tout entière au commence- ment du xve siècle.

Le château de Pierrefonds est à la fois une forteresse du premier ordre et une résidence renfermant tous les services destinés à pourvoir à l’existence d’un grand seigneur et d’une nombreuse réunion d’hommes d’armes.

Sa force ne consistait pas seulement dans l’épaisseur et la hauteur de ses murs, dans les bons flanquements des tours, mais en une suite d’ouvrages extérieurs que rendait nécessaire l’invention de l’artillerie à feu, déjà prépondérante dans l’art de la guerre. Le château proprement dit est établi à l’extré- mité d’un promontoire formé par le plateau du Soissonnais, qui, sur ce point, est profondément érosé par des vallées. Le point extrême de ce promontoire, bien qu’élevé de 25 mè- tres au-dessus des deux vallons, est en contre-bas du niveau du plateau de 20 mètres environ, de telle sorte que ce plateau commande l’assiette du château. D’ailleurs, à 250 mètres de la forteresse, le promontoire s’élargit brusquement et, se réunis- sant à d’autres escarpements, forme deux amphithéâtres, qui semblent disposés tout exprès pour permettre d’entourer le château d’un demi-cercle de feux.

Il était donc très- important de commander le plateau, ces deux amphithéâtres, et de séparer l’extrémité du promontoire de la plaine élevée à laquelle il se soude largement.

Toutefois, au moment Louis d’Orléans élevait le château de Pierrefonds, les armées ne traînaient point avec elles une artillerie à longue portée. Les bouches à feu que possédaient les corps en campagne n’étaient que des pièces de petit calibre, de fer forgé, ou quelques bombardes courtes, que l’on char-

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DU CHATEAU DE PIERKEFONDS.

geait avec des boulets de pierre, dont le tir était parabolique et la portée faible. Pour préserver, au commencement du xve siècle, le château des atteintes de cette artillerie, il n’ était pas nécessaire d’étendre très-loin les ouvrages extérieurs, et si l’on trouve des traces de ces ouvrages au point le promon- toire se réunit à la plaine, c’est qu’on avait voulu commander celle-ci et se ménager les moyens, en cas d’attaque, de con- server autour de la forteresse un rayon assez étendu. Ces dé- fenses contre la plaine opposées par conséquent au point d les attaques pouvaient être dirigées, se composaient d’une série de cavaliers isolés , qu’on appelait alors des boulevards, se commandant les uns les autres du dedans au dehors.

De ces cavaliers, le plus rapproché du château commande les suivants et est lui-mème enfilé par les pièces que l’on met- tait en batterie sur l’esplanade en avant du front méridional de la forteresse. Cette esplanade est séparée de la goige ou promontoire par un large fossé coupé à main d’homme dans la roche et le sable argileux très-compacte, composant ces terrains.

ïflG. 1.

Un profil en long, figure ! , pris perpendiculairement au front du château qui se présente vers le plateau, tera com-

DESCRIPTION ET HISTOIRE

prendre le système admis pour les défenses extérieures oppo- sées au côté attaquable. A est le pied du château au niveau du pont-levis; B, le niveau du plateau. En G est un premier bou- levard légèrement convexe comme une demi-lune très-ouverte et dont les extrémités touchent aux escarpements du promon- toire aux points ils commencent à se prononcer. En D est un second boulevard séparé du premier par une route. Ce second boulevard présente une courbe plus fermée que le premier, s’abaisse sensiblement vers son milieu et est épaulé par deux cavaliers dominant toute la demi-lune extérieure, la plaine et les deux escarpements.

Ainsi, le troisième boulevard E, par suite de rinflexion centrale du boulevard D, enfile le premier boulevard C et prend en écharpe les deux cavaliers de ce second boule- vard D. En G est creusé le fossé dont nous avons parlé plus haut et en H est établie l’esplanade inclinée, qui permet de poser des pièces en batterie pour enfiler tout l’espace E, F. On a profité de la configuration naturelle du sol pour élever ces ouvrages, fort dégradés il y a quelques années, mais en partie rétablis aujourd’hui. A partir des deux épaules du premier boulevard C, commencent des clôtures qui maintiennent l’es- carpement du promontoire dont le relief est d’autant plus pro- noncé qu’on s’avance vers le château. Ces clôtures latérales sont élevées à mi-côte, renforcées de contre-forts et forment des redans qui présentent autant de flanquements. Quant au château lui-même, il est établi sur une sorte de plate-forme. En voici, figure 2, le plan, à rez-de-chaussée (sur la cour), avec les ouvrages extérieurs les plus rapprochés. Le bas de notre figure donne l’extrémité du promontoire plongeant sur \e bourg et sur les deux vallons qui s'étendent à droite et à gauche. Vers le point A, le promontoire s’élève, s’élargit et, à

MJ CHATEAU DE PJEHKEFONDS. 45

200 mètres de environ, se soude à la plaine élevée qui s’étend jusqu’à la forêt de Villers-Cotterets. On voit en BB' les murs de soutènement bâtis à mi-côte qui se prolongent jus- qu’au premier boulevard et qui sont munis de contre-forts, ainsi que de redans flanquants. Ces fronts battent les deux vallons en suivant la déclivité du promontoire.

En C est une poterne avec caponnière c. Cette poterne s’ouvre sous le rempart formant mur de soutènement. Outre cette poterne, il y avait deux entrées ménagées dans les ouvrages extérieurs du château; l’une en D, l’autre en E. Ces deux entrées s’ouvraient en face d’anciennes rues du bourg de Pierrefonds et existent encore. L’entrée D est comman- dée par un gros boulevard G, entièrement construit en pierre et servant d’assiette à l’angle ouest du château. Par le chemin d d! on arrive, en montant une rampe inclinée de 5 centimè- tres par mètre en moyenne et en faisant un long détour, à la barbacane d " et à la porte F, munie d’une poterne. De l’en- trée E, en gravissant la rampe e e\ on arrive également à la porte F. Cette porte se relie avec les murs de soutènement B' qui défendent de ce côté le flanc du promontoire. Les écuries étaient situées dans une baille en A.

Ayant franchi la porte F, on arrive au pont mobile H qui per- met de traverser le fossé I, lequel sépare absolument le plateau de l’assiette du château et est indiqué en G dans la figure 1. Ce fossé, défilé par une batterie, se détourne en i, son fond est élevé de 5 à 6 mètres au-dessus du point c1. Ayant traversé le pont- levis H, on arrive sur l’esplanade;, laquelle est presque de ni- veau, tandis que sa partie / est inclinée de m en L Cette espla- nade est entourée de murs avec échauguettes flanquantes, et est séparée du pied du château par une fausse braie K en pierres de taille. Un châtelet L masque 1 entrée du château qui consiste en

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DESCRIPTION ET HISTOIRE

une porte et poterne fermées par des ponts-levis. Mais outre les ponts-levis, entre la pile o et la pile p passe un large et profond fossé dallé avee soin, et ces deux piles ne sont reliées que par un plancher que l’on pouvait supprimer en cas de siège. Alors la communication entre le château et le châtelet se faisait par- un chemin étroit crénelé, pratiqué sur un arc qui réunit les têtes de ces piles ; passage qui était gardé par deux échauguettes avec portes. Ce passage est indiqué en s.

De l’échauguette o , on pouvait descendre par un escalier crénelé sur le boulevard G. Deux ponts à bascule séparaient toutefois le haut et le bas de cet escalier de l’échauguette o et du boulevard G. Du châtelet, par une porte latérale étroite, on montait par des degrés, soit sur l’esplanade, devant la fausse braie, soit sur le chemin de ronde de celle-ci. Tout l’espace q est pavé avec une forte déclivité, soit vers le fossé, soit vers la grosse tour d’angle, car le large fossé dallé ne commence qu’à la grosse tour centrale pour descendre par un ressaut prononcé jusqu’au niveau du boulevard G. Sur le chemin extérieur ee, s’ouvre, presque en face de la grosse tour d’angle, une poterne qui permet d’arriver à la porte relevée T dont nous donnons plus loin la description.

Maintenant, entrons dans le château. A côté de la porte charretière est une poterne qui n’a que 0m,50 de largeur, qui possède son pont-levis, dont le couloir se détourne sous le pas- sage en dehors de la herse. Le passage principal est couronné par trois rangs de mâchicoulis, de telle sorte que des gens qui auraient pu parvenir à s’introduire sous ce passage, arrêtés par la herse, étaient couverts de projectiles. La herse passée, à gauche on trouve le corps de garde M qui communique avec le portique élevé en dehors de la grande salle et aux défenses supérieures par un escalier spécial.

DU CHATEAU DE PlERREFONDS.

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L’entrée du portique est en n , car celui-ci est élevé de quelques marches au-dessus du sol extérieur et ses piles re- posent sur un bahut couronné d’une grille assez élevée pour empêcher de passer de la cour sous les arcades. Ainsi, les per- sonnes admises sous le portique étaient-elles séparées du per- sonnel allant et venant dans la cour. Du portique on pénètre dans le vestibule a a, dans la première salle dd et dans la grande salle du rez-de-chaussée cc. Ce même portique donne entrée par un tambour entre les salles dd, cc, et dans l’esoa- lier à double rampe N.

Mais, avant de décrire les services intérieurs, il est néces- saire que nous désignions les tours. Chacune d’elles e;st dé- corée, sous les mâchicoulis, d’une grande statue d’un preux, posée dans une niche entourée de riches ornements. Les sta- tues existant encore sur les parois de ces tours ou retrouvées à leur base, ont permis de restituer leurs noms; car il était d’usage de donner à chaque tour un nom particulier, précau- tion fort utile lorsque le seigneur avait des ordres à faire transmettre aux officiers du château.

La grosse tour AA dépendant du donjon était la tour Char- lemagne. La tour BB dépendant am>si du logis seigneurial avait nom César; celle CC du coin, Artus ; celle DD, Alexandre ; celle EE, Godefroi de Bouillon ; celle FF, Josué ; celle GG, Hector, et celle IIII qui contenait la chapelle, Judas Macchabée.

En T est une porte relevée de 10 mètres au-dessus du sol et fermée par un pont-levis muni d’un treuil à l’aide duquel on élevait les provisions nécessaires à la garnison, jusqu’au niveau de la cour t, laquelle ne communiquait avec la grande cour que par la poterne X munie d’une herse et défendue par des mâchicoulis.

DESCRIPTION ET HISTOIRE

t#

Le donjon du château peut être complètement isolé des autres défenses. Il comprend les deux grosses tours de César et de Charlemagne, tout le bâtiment carré divisé en trois salles et la tour carrée U. L’escalier d’honneur Y, avec perron etmontoirs, permet d’arriver aux étages supérieurs. Le donjon était l’habitation spécialement réservée au seigneur et compre- nait tous les services nécessaires : caves, cuisines, offices, cüambres, gardes-robes, salons et salles de réceptio n.

Le donjon de Pierrfonds renferme ces divers services. Au rez-de-chaussée sont les cuisines et celliers voûtés, avec offices, laveries, caves et magasins. Le premier étage se compose d’une grande salle de 22 mètres de longueur sur 11 mètres de largeur, de deux salons et de deux grandes chambres dans les deux tours, avec cabinets et dépendances. Le second étage présente la même distribution. Un petit appartement, spécial est en outre disposé dans la tour carrée U à chaque étage.

Le troisième étage du logis est lambrissé sous comble et contient deux appartements ; les grosses tours, à ce niveau, étant uniquement affectées à la défense. Le donjon communi- que aux défenses du château par la courtine de gauche et par les ouvrages au-dessus de la porte d’entrée; à la chapelle, par un couloir passant au-dessus de la poterne X ; aux bâtiments Y, par une galerie disposée au-dessus du portail de cette chapelle.

i En R est le grand perron du château avec escalier montant aux salles destinées à la garnison, laquelle, en temps ordinaire, était logée dans l’aile du nord et dans celle attenant à la cha- pelle, à l’est. Suivant l’usage, la grande salle basse, en temps de guerre, servait encore à loger les troupes enrôlées tempo- rairement.

En effet, les locaux destinés à la garnison ordinaire, dans

DU CHATEAU DE PIEKREFONDS.

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nos châteaux féodaux du xive siècle, ont peu d étendue. Ceci s’explique par la composition môme de ces garnisons. Bien peu de seigneurs féodaux pouvaient, comme le châtelain de Coucy au xme siècle, entretenir toute l’année cinquante chevaliers, c’est-à-dire cinq cents hommes d’armes. La plupart de ces sei- gneurs, vivant des redevances de leurs colons, ne pouvaient en temps ordinaire conserver près d’eux qu’un nombre d’hommes d’armes très limité. Étaient-ilsen guerre, leurs vassaux devaient Yestage , la garde du château seigneurial pendant quarante jours par an (temps moyen). Mais il y avait deux sortes de vassaux, les hommes liges, qui devaient personnellement le service mili- taire, et les vassaux simples, qui pouvaient se faire remplacer. De cette coutume féodale il résultait que le seigneur était sou- vent dans l’obligation d’accepter le service de gens qu’il ne connaissait pas, et qui, faisant métier de se battre pour qui les payait, étaient accessibles à la corruption. Dans bien des cas d’ailleurs, les hommes liges, les vassaux simples ou leurs rem- plaçants ne pouvaient suffire à défendre un château seigneu- rial quelque peu étendu ; on avait recours à des troupes de mercenaires, gens se battant bien pour qui les payait large- ment, mais au total peu sûrs. C’étaient donc dans des cas exceptionnels que les garnisons étaient nombreuses. 11 faut re- connaître cependant qu’à la fin du xive siècle et au commen- cement du xve, la défense était tellement supérieure à l’attaque, qu’une garnison de cinquante hommes, par exemple, suffisait pour défendre un château d’une étendue médiocre, contre un nombreux corps d’armée. Quand un seigneur faisait appel à ses vassaux et que ceux-ci s’enfermaient dans le château, on logeait les hommes les plus sûrs dans les tours, parce que cha- cune d’elles formait un poste séparé, commandé par un capi- taine. Pour les mercenaires ou les remplaçants, on les logeait

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DESCRIPTION ET HISTOIRE

dans la salle basse, qui servait à la fois de dortoir, de salie à manger, de cuisine au besoin et de lieu propre aux exercices. Ce qui indique cette destination, ce sont les dispositions intérieures de ces salles, leur isolement des autres services, eurs rares communications avec les défenses, le voisinage de vastes magasins propres à contenir des munitions et des armes.

Ces salles basses sont en effet ouvertes sur la cour du châ- teau, mais ne communiquent aux défenses que par la cour et par des postes, c’est-à-dire par des escaliers passant dans des tours. Ainsi le seigneur avait-il moins à craindre la tra- hison de ces soldats d’aventure, puisqu’ils ne pouvaient arriver aux défenses que commandés et sous la surveillance de capi- taines dévoués. A plus forte raison les occupants de ces salles basses ne pouvaient-ils pénétrer dans le donjon que s’ils y étaient appelés. Dès la fin du xme siècle, ces dispositions sont déjà apparentes, quoique moins bien tracées que pendant les xive et xve siècles.

Cela s’explique. Jusqu’à la fin du xme siècle, le régime féo- dal, tout en s’affaiblissant, avait encore conservé la puissance de son organisation. Les seigneurs pouvaient s’entourer d’un nombre d’hommes sûrs assez considérable pour se défendre dans leurs châteaux; mais à dater du xive siècle, les liens féodaux tendent à se relâcher, et les seigneurs possédant de grands fiefs sont obligés, en cas de guerre, d’avoir recours aux troupes de mercenaires. Les vassaux, les hommes liges môme, les vavasseurs, les villages ou bourgades, rachètent à prix d’argent le service personnel qu’ils doivent au seigneur féodal, et celui-ci, qui en temps de paix trouvait un avantage à ces marchés, en cas de guerre se voyait obligé d’enrôler ces troupes d’aventuriers qui, à dater de cette époque, n’onî

nU CHATEAU DE PÏERREFON'S.

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d'autre métier que de iuuer leurs services et qui devien- nent un fléau pour le pays, si les querelles entre seigneurs s’apaisent.

Le duc Louis d’Orléans, construisant le château de Pierre- fonds, adopta ce programme de la manière la plus complète.

Le bâtiment qui renferme les grandes salles du château de Pierrefonds occupe le côté occidental du parallélogramme for- mant le périmètre de cette résidence seigneuriale. Ce bâtiment est à quatre étages ; deux de ces étages sont voûtés et sont au- dessous du niveau de la cour, bien qu’ils soient élevés au-dessus du chemin de ronde extérieur d ; les deux derniers donnent un rez-de-chaussée sur la cour et la grand salle proprement dite, au niveau des appartements du premier étage.

La salle du rez-de-chaussée a son entrée en r. En face de la porte n du portique est un banc destiné à la sentinelle (car alors des bancs étaient toujours disposés une sentinelle devait être postée). Il fallait donc que chaque personne qui voulait pénétrer dans la première salle aa fût reconnue. De cette salle on pénètre dans une deuxième dd, puis dans la grande salle du rez-de-chaussée cc. Des latrines 2 servaient à la fois au corps de garde M et aux salles du rez-de-chaussée.

Une fois casernées dans ces salles de rez-de-chaussée, ces troupes étaient surveillées par la galerie d’entre-sol qui se trouve au-dessus du portique et ne pouvaient monter aux dé- fenses que sous la conduite d’officiers. D’ailleurs ces salles sont belles, bien aérées, bien éclairées, munies de cheminées et contiendraient facilement cinq cents hommes.

L’escalier N à double vis monte au portique d’entre-sol, à la grand’salle du premier étage et aux défenses. La grand’salle du premier étage était la salle seigneuriale se tenaient les assemblées ; elle occupe tout l’espace compris entre le premier

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DESCRIPTION ET HISTOIRE

vestibule aaet le mur de refend q , auquel est adossé une vaste cheminée. Son estrade est placée devant cette cheminée ; le seigneur se rendait du donjon à cette salle en passant par des galeries ménagées au premier étage des bâtiments en aile Est et Nord. L’estrade ou parquet n’était autre chose que le tribu- nal du haut justicier ; c’était aussi la place d’honneur dans les cérémonies, telles que, hommages, investitures ; pendant les banquets, les bals, les mascarades, etc.

On pouvait aussi du donjon pénétrer dans la grand’salle de plain-pied, en passant sur la porte du château, dans la pièce située au-dessus du corps de garde et dans le vestibule.

Si la salle basse ne communique pas directement avec les défenses, au contraire, de la grand’salle du premier, on y arrive rapidement par un grand nombre d’issues. En cas d’at- taques, les capitaines de la garnison pouvaient être convoqués dans cette salle seigneuriale, recevoir des instructions, et se diriger instantanément sur les chemins de ronde des mâchi- coulis et dans les tours. A cet effet un escalier est ménagé contre les parois intérieures de la tour d’Alexandre (celle DD), du niveau de la grand’salle aux défenses supérieures.

Sur le vestibule de la grand’salle est une tribune qui ser- vait à placer les musiciens lors des banquets et fêtes que don- nait le seigneur.

De ces dispositions il résulte clairement que les salles basses étaient isolées des défenses, tandis que la grand’salle, située au premier étage, était au contraire en communication directe et fréquente avec elles ; que la salle haute ou grand’salle, était de plain-pied avec les appartements du seigneur, et qu’on sé- parait au besoin les hommes se tenant habituellement dans la salle basse, des fonctions auxquelles était réservée la plus haute. Ce programme, si bien écrit à Pierrefonds, jette un jour nou-

DU CHATEAU DE PIERREFOXDS.

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veau sur les habitudes des seigneurs féodaux, obligés de rece- voir dans leurs châteaux des garnisons d’aventuriers.

On objectera peut-être que ces dispositions, à Pierrefonds, étaient tellement ruinées que la restauration peut être hypo- thétique. A cette objection nous répondrons: que le mur extérieur était complètement conservé, par conséquent les hauteurs des étages ; que le portique était écrit par l’épais- seur du mur intérieur et par les fragments de cette structure trouvés dans les fouilles; que l’escalier voisin de la tour cen- trale I)D, conservé, ne montant qu’à une hauteur d’entre-sol, indiquait clairement le niveau de cet entre-sol ; que la po- sition de l’escalier à double degré N était donnée par le plan par terre ; que les cheminées étaient encore en place ainsi que les murs de refend ; que les dispositions du corps de garde et des issues sont anciennes, ainsi que celles de la salle des latrines ; que le tambour donnant entrée dans le pas- sage entre les salles dd et cc était indiqué par des arrache- ments; 8° que les pieds-droits des fenêtres hautes ont été retrouvés dans les déblais et replacés ; que les pentes des combles sont données par les filets existant le long de la tour EE. Si donc quelque chose est hypothétique dans cette restauration, ce ne pourrait être que des détails qui n’ont aucune importance.

Ces grandes salles, pendant le moyen âge, étaient riche- ment décorées :

« Li rois fu en la sale bien painturé à liste (1). n

Non-seulement des peintures, des boiseries, voire des tapis- series, couvraient leurs parements, mais on y suspendait des armes, des trophées recueillis dans les campagnes. Sau^

(1) Li romans de Berte aus grans piés, ch. XCII.

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val (1) rapporte que le roi d’Angleterre traita magnifiquement saint Louis au Temple, lors de la cession si funeste que fit ce dernier prince, du Périgord, du Limousin, de la Guyenne et de la Saintonge.

Ce fut dans la grand’salle du Temple que se donna le ban- quet : « A la mode des Orientaux», dit Sauvai, «les murs » de la salle étoient couverts de boucliers; entre autres s’y » remarquoit celui de Richard, premier roi d’Angleterre, sur- » nommé Cœur de Lion. Un seigneur anglois l’ayant aperçu » pendant que les deux rois dînoient ensemble, aussitôt dit à » son maître en riant : Sire, comment avez-vous convié les » François de venir en ce lieu se réjouir avec vous; voilà le » bouclier du magnanime Richard qui sera cause qu’ils ne » mangeront qu^en crainte et en tremblant. »

A Pierrefonds, la grand’salle haute était décorée de pein- tures. La porte qui donnait dans le vestibule était toute bril- lante de sculptures et surmontée d’une claire-voie avec large tribune; la voûte était lambrissée en berceau et percée de grandes lucarnes du côté de la cour. La cheminée qui termi- nait l’extrémité opposée à l’entrée supportait sur son manteau les statues des neuf preuses (2).

Au château de la Ferté-Milon les statues des preuses sont posées sur la paroi des tours comme le sont les statues des preux à Pierrefonds. Voici les noms des neuf preuses placées sur la cheminée de la grand’salle à Pierrefonds : Sémiramis, Déifemme, Lampédo, Hippolyte, Deiphile, Thamyris, Tan- qua, Ménelippe, Pentésilée, tels que les donne avec leurs

m Ternie II, p. 246.

(2) Dans les reconstructions élevées à Coucy par Louis d’Orléans, il y avait la salle des preux et la salle des preuses. Ces dernières figures étaient, de môme qu’à Pierrelonds, posées sur le manteau de la cheminée. (Voy. Ducerceau.)

DU CHATEAU DE ri EH DEFONDS.

2*)

blasons, le roman de Jouvencel de la Bibl. Irnp. f. Notre- Dame, 205, xy® siècle.

La salle basse était elle-même décorée avec un certain luxe, ainsi que le constatent la cheminée qui existe encore en partie, les corbeaux qui portent les poutres et les fragments du portique.

Les tours d’Artus, d’Alexandre, de Godefroi de Bouillon et d’Hector, contiennent chacune un cachot en cul de basse- fosse, c’est-à-dire dans lequel on ne peut pénétrer que par une ouverture pratiquée au sommet de la voûte en calotte ogivale. De plus, la tour d’Artus renferme des oubliettes.

Il n’est pas un château dans lequel les guides ne nous fas- sent voir des oubliettes; généralement ce sont les latrines qui sont décorées de ce titre, et que l’on suppose avoir en- glouti des victimes humaines sacrifiées à la vengeance des châtelains féodaux ; mais cette lois il nous paraît difficile de ne pas voir de véritables oubliettes dans la tour sud-ouest du château de Pierrefonds. Au-dessous du rez-de-chaussée est un étage voûté en arcs ogives ; et au-dessous de cet étage, une cave d’une profondeur de 7 mètres, voûtée en calotte elliptique. On ne peut descendre dans cette cave que par un œil percé à la partie supérieure de la voûte, c’est-à-dire au moyen d’une échelle ou d’une corde à nœuds; au centre de faire de cette cave circulaire est creusé un puits qui a 14 mè- tres de profondeur, puits dont l’ouverture de 1“,30 de dia- mètre correspond à l’œil pratiqué au centre de la voûte ellip- tique de la cave. Cette cave, qui ne reçoit de jour et d’air extérieur que par une étroite meurtrière, est accompagnée d’un siège d'aisances pratiqué dans l’épaisseur du mur. Elle était donc destinée à recevoir un être humain, et le puits creusé au centre de son aire était probablement une tombe

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toujours ouverte pour les malheureux que l’on voulait faire disparaître à tout jamais.

D’ailleurs la tour d’Artus n’était pas éloignée du corps de garde et placée à l’extrémité de la grand’salle le seigneur rendait la justice.

L’étage inférieur de la chapelle était réservé au service du chapitre et la tour de Josué ne contenait guère, à tous ses étages, que des latrines pour la garnison logée de ce côté du château. Au bas de la courtine de gauche de la tour de Josué, en P, est une poterne relevée de 2 mètres au-dessus du sol extérieur. Cette poterne s’ouvre sur des passages souterrains qui ne communiquaient aux étages supérieurs que par un seul escalier à vis donnant dans le poste du rez-de-chaussée. A côté de la poterne est un porte-voix se divisant en deux conduits, l’un aboutissant dans la salle 1 au premier étage, l’autre dans la salle 2 au rez-de-chaussée. Ce deuxième branchement, incliné à 45°, était assez large pour qu’on pût y faire monter ou descendre un homme couché sur un traîneau sans ouvrir une seule porte ou poterne. C’était une véritable sortie pour des messagers ou pour des espions en cas d’investissement.

Il fallait donc, pour faire ouvrir la poterne à une ronde ren- trante, que les deux postes situés au rez-de-chaussée et au premier étage fussent d’accord, ce qui était une difficulté en cas de trahison. Une fois la ronde entrée par la poterne P, il était nécessaire qu’elle connût les distributions intérieures du château ; car pour parvenir à la cour, elle devait passer par le seul escalier à vis qui aboutît au poste du rez-de-chaussée. Si une troupe ennemie s’introduisait par la poterne P, trois couloirs se présentaient à elle; deux sont des impasses, le troisième aboutit à une cave fermée par une porte, puis à l’escalier 3. Avant de se reconnaître dans ces couloirs obscurs.

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des gens ignorant les êtres du château perdaient un temps précieux.

Si les dispositions défensives du château de Pierrefonds n’ont pas la grandeur majestueuse de celles du château de Coucy, elles ne laissent pas d’être combinées avec un art, un soin et une recherche dans les détails, qui prouvent à quel degré de perfection étaient arrivées les constructions des places fortes seigneuriales à la fin du xive siècle, et jusqu’à quel point les châtelains, à cette époque, savaient se garder.

Nous avons longtemps cherché des restes d’aqueducs des- tinés à alimenter le château. Les aqueducs n’ont jamais existé, nous en avons acquis la preuve. La garnison se servait de l’eau tirée d’un puits de 33 mètres de profondeur, situé près du portique de la grand’salle dans la cour, et d’une vaste citerne établie dans les cours du bâtiment situé entre la chapelle et la tour Hector. Citerne alimentée par les eaux de pluie tombant sur les combles et terrasses.

Si l’on examine les constructions du château de Pierre- fonds, il sera facile de se faire une idée du programme rempli par l’architecte. Vastes magasins au rez-de-chaussée avec le moins d’issues possibles. Sur les dehors, du côté de l’entrée, qui est le plus favorable à l’attaque, énormes et massives tours pleines dans la hauteur du talus,